Recherche d’objectifs, d’articles et aide
Dans le paysage en constante évolution de la prise de vues cinématographique, l’interaction délicate entre la technique et l’expression artistique continue de façonner ce que nous percevons comme le rendu ou le look cinématographique. Au cœur de cette évolution se trouve un outil fondamental : l’objectif. Nous explorons dans cet article comment les objectifs de la série S8/i FF, avec leur ouverture maximale exceptionnelle de T1.4, redéfinissent les possibilités créatives et accompagnent l’esthétique cinématographique moderne.
Contrairement à nos yeux, qui perçoivent le monde en trois dimensions avec des réglages de mise au point automatiques, les caméras capturent des images en deux dimensions. Le système visuel humain se concentre instinctivement sur ce qui est perçu comme net dans une image, faisant de la mise au point une manière presque subliminale de diriger le regard du spectateur. Lorsqu’un directeur de la photographie choisit ce qui doit être net et ce qui doit être flou dans une image, il prend des décisions narratives cruciales.
Pendant la prise de vues, le contrôle de la mise au point n’est pas automatique mais plutôt un choix artistique délibéré. Il est le fruit d’une décision commune entre la mise en scène, le directeur de la photographie et le premier assistant caméra. La mise au point peut transmettre une certaine intimité lorsque la caméra filme le visage d’un comédien en gros plan avec un arrière-plan flou, ou elle peut révéler le contexte et les relations entre les personnages et le décor lorsque plusieurs plans de l’image sont nets. Elle peut aussi isoler un détail qui pourrait autrement passer inaperçu ou englober tout un paysage.
Isolement des personnages dans « Teacup » (2024) tourné par Isaac Bauman sur Cooke S8/i FF
La profondeur de champ
Lorsqu’un objectif fait la mise au point sur une distance précise, seuls les objets situés sur un seul plan à cette distance exacte (parallèle au capteur) sont véritablement en « mise au point critique » parfaite. Il existe cependant une zone qui s’étend devant et derrière ce plan où les objets apparaissent suffisamment nets à nos yeux. Cette zone est appelée la « profondeur de champ ». Différents facteurs sur lesquels le directeur de la photographie peut agir affectent cette profondeur de champ et il existe une hiérarchie entre eux.
La distance de mise au point est la plus déterminante. Plus le plan de mise au point critique est éloigné, plus la profondeur de champ est importante et elle se réduit lorsque la mise au point est effectuée au plus proche de la caméra. Une ouverture plus grande (soit un diaphragme avec un nombre peu élevé, comme T1.4) augmente la quantité de lumière qui traverse l’objectif mais réduit la profondeur de champ. Une ouverture plus petite (soit un diaphragme avec un nombre élevé, comme T11) réduit la quantité de lumière mais augmente la profondeur de champ. La distance focale d’un objectif détermine son champ de vision à partir d’une position donnée de caméra. Si l’ouverture et la distance de mise au point restent constantes, un objectif avec une plus grande distance focale produira une profondeur de champ plus réduite qu’un objectif avec une distance focale plus faible.
La taille physique du capteur de la caméra ou du cadre influence également la profondeur de champ perçue, bien qu’indirectement. Pour obtenir le même cadrage lors du passage d’un format plus petit à un format plus grand, il faut soit utiliser une focale plus longue (diminuant la profondeur de champ), soit rapprocher la caméra (diminuant également la profondeur de champ). De ce fait, le tournage sur capteurs grand format, facilitée par les objectifs S8/i FF, offre des caractéristiques de profondeur de champ spécifiques.
Travail de mise au point étendue dans « Ciziten Kane » (1941) par le directeur de la photographie Gregg Toland ASC sur des objectifs Cooke Speed Panchro
Pour bien comprendre l’importance des capacités de la série S8/i FF, analysons l’évolution des tendances en matière de profondeur de champ au fil du temps. Du travail de pionnier de Gregg Toland sur la mise au point étendue dans « Citizen Kane », que beaucoup considèrent comme le « sommet » du cinéma sur pellicule, certaines contraintes techniques ont influencé les choix créatifs de manière significative.
Même avec la pellicule noir et blanc Plus-X de Kodak, introduite en 1938, avec une sensibilité nominale de 80 ASA, obtenir une mise au point étendue nécessitait souvent d’énormes quantités de lumière. Une solution qui était très onéreuse. Les prises de vues à des ouvertures très réduites nécessitaient des lampes à arc puissantes. Ces dispositifs étaient complexes et empêchaient souvent l’utilisation de plafonds dans les décors (pour permettre l’éclairage par le haut).
L’avènement de la pellicule couleurs a permis un style d’éclairage différent, car le contraste et la séparation pouvaient désormais également être créés grâce au contraste des couleurs. Les premiers stocks de pellicule en couleurs étaient cependant peu sensibles. L’Eastmancolor Negative 5247 avait une sensibilité de 16 ASA et la plupart des films tournés en couleurs dans les années 1950 utilisaient un stock de sensibilité 25 ASA. Comparé aux capteurs numériques actuels dont la sensibilité nominale démarre généralement à 800 ISO, tourner à pleine ouverture était à l’époque plus souvent une nécessité plutôt qu’un choix artistique.
Selon une idée reçue, les films en couleurs du passé avaient une grande profondeur de champ, mais nombre d’entre eux étaient en réalité tournés à des ouvertures proches de la grande ouverture, telles que f/2.8, notamment lorsque les films ont commencé à s’éloigner des studios et à inclure davantage de prises de vues en extérieur. La préférence générale pour les plans larges et moyens par rapport aux plans rapprochés est à l’origine de cette impression d’une plus grande profondeur de champ. L’absence de plans extrêmement serrés crée cette illusion d’une plus grande profondeur de champ.
La sensibilité des pellicules a continué d’augmenter avec la gamme Vision3 de Kodak offrant jusqu’à 500 ASA de sensibilité pour les pellicules équilibrées pour le tungstène et 250 ASA pour les pellicules équilibrées à la lumière du jour. Mais pendant ce temps, la révolution de la prise de vues numérique prenait aussi de l’ampleur et allait devenir de plus en plus importante.
Même « La Mélodie du bonheur » (1965), tourné sur une pellicule 50 ASA 65 mm, présentait une profondeur de champ avec une préférence pour les plans moyens au même temps que les matte-paintings réduisaient la profondeur réelle de certains décors. Photographié par Ted McCord ASC avec des objectifs Cooke
À l’aube du cinéma numérique, les premiers capteurs produisaient des images que beaucoup décrivaient comme « stériles » ou « cliniques » par rapport au rendu sur pellicule. Les directeurs de la photographie ont commencé à chercher des moyens d’atténuer cette dureté numérique en se tournant souvent vers des objectifs plus anciens et vintage utilisés à pleine ouverture.
Comme l’a souligné Iain Neil, conseiller technique en chef de Cooke, dans son discours prononcé devant Gordon E. Sawyer : « Le problème avec un vieil objectif pour pellicule et son utilisation sur une caméra numérique, c’est que l’image n’est pas très bonne. Cela ne ressemble en rien à une image argentique. » Paradoxalement, les imperfections techniques de ces objectifs lorsqu’ils sont utilisés à pleine ouverture – ce que Neil appelle « écraser l’image » – sont devenues des attributs souhaitables qui ont permis aux séquences numériques de paraître plus organiques.
Cette recherche du « look cinématographique » a coïncidé avec un autre changement important : l’introduction des boîtiers numériques dotés de grands capteurs et l’accessibilité soudaine à une faible profondeur de champ pour une génération de cinéastes qui avaient auparavant travaillé avec des formats vidéo plus petits et qui ne pouvait pas prétendre à une profondeur de champ aussi réduite. Le pendule a basculé de façon spectaculaire, et une profondeur de champ extrêmement faible est devenue presque synonyme du « look cinématographique » pour une nouvelle génération de cinéastes.
Une perception culturelle s’est développée :
Épisode final de la saison 6 de « House », « Help Me » (2010), tournée avec des appareils photo reflex numériques Canon 5D MkII. Une initiative révolutionnaire à l’époque. Photographiée par Gale Tattersall
Les objectifs S8/i FF bénéficient de ce que l’on pourrait appeler un « T-Stop survitaminé ». Avec leur ouverture maximale de T1.4., ils sont parmi les objectifs les plus rapides pour les tournages en grand format. Cette rapidité extraordinaire ouvre une multitude de possibilités créatives, notamment en matière de profondeur de champ et de prise de vues en basses lumières. La véritable révolution de la série S8/i FF ne réside pas uniquement dans sa grande luminosité, mais plutôt dans ses performances exceptionnelles sur toute l’échelle de diaphragmes. La série offre une approche équilibrée de la netteté et une pente douce du flou, créant des sujets nets sur des arrière-plans délicatement restitués. Cette séparation génère une plus grande sensation de profondeur dans ce qui est essentiellement, une fois enregistrée, une image bidimensionnelle.
Plus remarquable encore, même si la profondeur de champ peut être extrêmement réduite lors de prises de vues à pleine ouverture, cette transition est très agréable. Elle passe délicatement vers le flou plutôt que de basculer brusquement entre les zones nettes et floues de l’image. Cette transition naturelle et organique est ce que les directeurs de la photographie recherchent depuis longtemps, mais qu’ils trouvent rarement dans un objectif qui fonctionne de manière constante sur toute l’échelle des diaphragmes.
Contrairement à de nombreux objectifs vintage où la prise de vues à pleine ouverture introduit des compromis techniques (aberrations chromatiques, aberration sphérique ou perte de définition), la série S8/i FF conserve une qualité d’image exceptionnelle même à T1.4. Grâce à cette constance, la profondeur de champ devient un choix purement créatif plutôt qu’une contrainte technique. Les directeurs de photographie peuvent ainsi utiliser la faible profondeur de champ de manière esthétique sans se soucier d’aucune dégradation de l’image.
Tournage en basse lumière dans « Teacup » (2024) tourné par Isaac Bauman sur Cooke S8/i FF
L’approche de la série S8/i FF en matière de mise au point est particulièrement sophistiquée. Elle reflète une compréhension exhaustive de la manière dont nous percevons la netteté et la profondeur. Plusieurs facteurs au-delà de la profondeur de champ physique influencent la façon dont les spectateurs interprètent la mise au point dans une image :
Contraste et netteté perçue : un éclairage à contraste élevé donnera l’impression d’une image avec une plus faible profondeur de champ qu’un éclairage à faible contraste car le contraste améliore la définition des bords, et rend les zones nettes encore plus nettes. Les objectifs S8/i FF exploitent ce phénomène perceptif grâce à leur revêtement. En augmentant le contraste dans les bonnes plages de fréquences du spectre visible, ils améliorent la perception de netteté des détails fins comme les cils, tout en conservant un rendu agréable des teintes de la peau. Ils offrent ainsi un résultat à la fois net et doux, ce qui à priori est paradoxal.
Transition de la mise au point vers le bokeh : la qualité esthétique des zones floues, appelées « bokeh », a un impact significatif sur la façon dont nous percevons la profondeur d’une image. Les caractéristiques du bokeh de la série S8/i FF créent des zones floues agréables qui enveloppent le sujet net, sans distraire notre attention.
Atmosphère et diffusion : la présence d’éléments atmosphériques comme la brume ou le brouillard, qu’ils soient naturels ou artificiels, modifie notre perception de la profondeur en adoucissant les objets éloignés. De même, les filtres de diffusion peuvent augmenter la profondeur de champ perçue en adoucissant subtilement l’image globale et en rendant plus difficile la distinction entre ce qui est « acceptable » et ce qui est net. La conception optique équilibrée des S8/i FF fonctionne de manière harmonieuse avec ces éléments atmosphériques, sans lutter contre eux ni être submergé par eux, permettant aux directeurs de la photographie de superposer ces effets pour un contrôle encore plus précis de la profondeur.
Au-delà de ses qualités esthétiques, la série S8/i FF répond aux défis techniques spécifiques posés par les capteurs numériques. Le film réagit relativement bien à la lumière qui n’est pas parallèle à l’axe optique et les processus photochimiques qui se produisent après l’exposition permettent également d’uniformiser la lumière en sortie de l’objectif. Cependant, les capteurs numériques possèdent une profondeur physique au niveau de leurs photosites. Ainsi, leur réaction à la lumière qui arrive avec des angles obliques n’est pas optimisée, un phénomène qui accentue la déperdition naturelle de l’objectif et le vignettage.
Les objectifs S8/i FF utilisent des propriétés quasi télécentriques. Ils guident les rayons lumineux dans un chemin plus parallèle avant leur arrivée sur le capteur numérique. Grâce à cette caractéristique, l’éclairement du capteur est plus uniforme sur l’ensemble du cadre, un phénomène particulièrement important pour les capteurs grand format où la distance entre le centre et le bord est plus grande. Même si la meilleure ingénierie ne peut pas battre la physique de la trajectoire de lumière et sa loi de l’inverse du carré, les S8/i FF présentent un éclairement beaucoup plus uniforme sur l’ensemble du capteur à grande ouverture que les autres objectifs vintage. À partir du T2.8 et des diaphragmes plus ouverts, les changements d’éclairement d’un diaphragme à l’autre sont pratiquement imperceptibles.
En outre, les S8/i FF répondent à un autre problème courant de l’imagerie numérique : les aberrations chromatiques et sphériques. Même les objectifs les plus performants sur pellicule peuvent présenter ces aberrations sur les systèmes numériques en raison des différences dans la manière dont chaque support capte la lumière et de l’empilement de filtres que les fabricants placent devant le capteur. La conception des S8/i FF compense spécifiquement ces aberrations induites par le numérique tout en conservant l’aspect organique que les directeurs de la photographie et les réalisateurs apprécient. Dans les objectifs vintage, les changements de dominante de couleur peuvent être provoqués par un changement de diaphragme, mais avec les S8/i FF, les couleurs ne varient pas de T1.4 à T22.
Les objectifs intègrent également la technologie /i, qui fournit des données de l’objectif précises à la caméra et aux systèmes de post-production. Cette technologie est particulièrement utile lors de la prise de vues à T1.4, car elle permet de réaliser une compensation précise de tout vignettage résiduel. La prise de vues à grande ouverture devient ainsi plus facile pour les productions à effets visuels lourds.
Ce qui distingue finalement les S8/i FF, c’est leur approche équilibrée. Ils n’éliminent pas le caractère au profit de la perfection technique, et ils ne sacrifient pas les performances en quête des défauts distinctifs. Bien au contraire, ils offrent aux directeurs de la photographie un outil qui peut être poussé à l’extrême lorsqu’ils le souhaitent, mais qui se comporte de manière prévisible sur toute sa gamme.
Que vous tourniez à pleine ouverture pour isoler un sujet de manière spectaculaire ou à diaphragme fermé pour donner plus de contexte aux spectateurs, l’objectif offrira le même rendu organique : seule la profondeur de champ varie, pas le caractère fondamental, un problème courant avec les objectifs vintage. Les performances des S8/i FF sur toute l’échelle de diaphragmes permettent aux directeurs de la photographie de conserver un rendu cohérent et d’utiliser la profondeur de champ principalement pour des raisons créatives plutôt que comme une contrainte technique.
En combinant les qualités organiques qui ont anoblit la pellicule avec la cohérence et la fiabilité exigées par les flux de production modernes, les S8/i FF ne se contentent pas de suivre le rythme des tendances. Ils contribuent à les façonner, offrant aux directeurs de la photographie de nouvelles possibilités de narration visuelle à l’ère numérique. En ce sens, la série S8/i FF représente non seulement une prouesse technique mais aussi une position philosophique sur ce que peut être la prise de vues au cinéma : un équilibre parfait entre performances techniques et rendu artistique, précision et émotion, clarté et mystère, tous les antagonismes qui ont fait du cinéma une forme d’art si fascinante.
Teacup » (2024) tourné par Isaac Bauman sur Cooke S8/i FF