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L'héritage des Cooke Panchro

Cooke Speed Panchro lens
By: The Cooke Team  |   7 min de lecture

Au fil du temps, le terme « Panchro » et la marque Cooke sont devenus indissociables. Une famille d’objectifs avec une longue histoire, un charme indéniable et un prestige inégalé. Dans cet article, nous allons retracer les origines de cette série emblématique d’optiques qui a traversé plus de cent ans de tournages sous diverses formes, y compris les récents objectifs à focale fixe Cooke Panchro/i Classic S35 et FF ainsi que la dernière-née de la famille Cooke, la série SP3.

Cooke Speed Panchro lens

50 mm de la série I Speed Panchro sans traitement, 1943

 

1920 – La série Cooke O Opic

Conçue par Horace William Lee chez Taylor, Taylor & Hobson, cette série constitue une mise à jour des premières avancées de Cooke dans le monde du cinéma. Une incursion qui a démarré dès 1905, et qui s’est consolidée en 1912 avec les premières optiques conçues spécifiquement pour le cinéma.

Les objectifs de la série O, également appelés Opic, disposaient d’une ouverture maximale de f/2.0 et étaient un dérivé direct de la conception symétrique du double Gauss (brevet britannique 157040A). Les objectifs comportaient six éléments associés en quatre groupes presque symétriques, à l’exception du plus grand élément avant, autour d’un diaphragme central. Cette lentille frontale de plus grande taille agrandit optiquement la taille de la pupille d’entrée et augmente la luminosité de l’objectif, le rendant plus rapide.

Série O, extrait du catalogue Opic de l’époque

Milieu des années 1920 – Le cinéma parlant prend le dessus !

Tandis que le son synchronisé était intégré aux tournages de films au milieu et à la fin des années 1920, la demande pour des objectifs à ouverture rapide devenait plus pressante. Jusqu’à lors, les projecteurs à arc assuraient l’éclairage des plateaux, mais leur utilisation devenait impossible en raison de leur niveau de bruit trop élevé. Les directeurs de la photographie ont été obligés d’utiliser les éclairages à incandescence en tungstène, plus silencieux mais avec une intensité nettement inférieure. Les ampoules en tungstène-halogène ne seront introduites qu’à partir de 1956.

De plus, la cadence d’images des caméras muettes était comprise entre 16 et 18 images par seconde, mais la production sonore a exigé l’augmentation de la cadence d’images à 24 i/s, réduisant ainsi d’un demi-diaphragme l’exposition. Pour toutes ces raisons, les objectifs plus rapides sont devenus indispensables.

Sorti en 1927, le film « Le Chanteur de jazz » (réalisateur : Alan Crosland, directeur de la photographie : Hal Mohr, ASC) est le premier long métrage sonore avec de la musique, du chant et de la parole synchrones. Taylor, Taylor & Hobson ont rapidement modifié les objectifs Opic pour les utiliser sur les caméras de cinéma. Les longs métrages tournés avec ces objectifs ayant obtenu l’Oscar du meilleur film comprennent « Wings » (1927, réalisateur : William A. Wellman, directeur de la photographie : Harry Perry, ASC) et « Raspoutine et l’Impératrice » (1932, réalisateurs : Richard Boleslawski et Charles Brabin, directeur de la photographie : William H. Daniels, ASC).

Le célèbre travelling de « Wings »

1927 – Ultra Speed et Super Speed Panchro

En octobre 1927, Horace William Lee a déposé un brevet pour une modification de sa formule Opic (brevet américain 1779267) qui est devenu l’Ultra Speed Panchro f/1.4. Parmi d’autres modifications, la conception comprenait une lentille centrale à haute réfraction et utilisait 12 rayons de surface distincts. Cette conception influencera également le Super Speed Panchro 58 mm f/1.3 de Lee, sorti en 1930.

L’année 1927 sera aussi l’année ou le terme « panchro » est inclus pour la première fois dans le nom d’une série d’objectifs. Mais à quoi cela fait-il référence ?

À l’aube du XXe siècle, les premiers films négatifs noir et blanc étaient uniquement sensibles à une plage restreinte de longueurs d’onde, comprises entre les couleurs bleues et vertes. Cette limitation a imposé aux directeurs de la photographie et aux équipes de maquillage des correctifs spécifiques, car l’incarnation rouge des lèvres et les cheveux blonds semblaient plus foncés. Pour que la teinte de la peau des acteurs soit mieux reproduite, un maquillage chargé en jaune était nécessaire.

Les directeurs de la photographie utilisaient des filtres colorés sur l’objectif pour améliorer la reproduction des teintes de la peau et des teintes rouges. Grâce à l’ajout de colorants à l’émulsion, le chimiste allemand Hermann Wilhelm Vogel a étendu la gamme du spectre de couleurs à laquelle les films étaient sensibles. Ce type de film a été baptisé « orthochromatique ». D’autres développements ont conduit à une sensibilité complète de presque tout le spectre de lumière visible, du violet au rouge. Le « film panchromatique » était né.

Bien que disponible depuis le début des années 1900, Eastman Kodak a attendu 1922 pour commersilaiser le film panchromatique en tant que pellicule standard pour les tournages. Le premier long métrage tourné entièrement en pellicule panchromatique fut « Le Cavalier sans tête » (1922, réalisateur : Edward D. Venturini, directeur de la photographie : Ned Van Buren, ASC).

Si bien l’augmentation de la sensibilité à la lumière de la pellicule a été généralement considérée comme une amélioration, elle a également révélé des problèmes d’aberrations chromatiques des objectifs, invisibles jusqu’alors. Lorsqu’une émulsion de pellicule n’est pas sensible aux longueurs d’onde vertes et rouges, si un objectif ne focalise pas correctement ces couleurs, le problème n’est pas visible. Mais lorsque l’émulsion est sensible à davantage de longueurs d’onde de lumière, même dans le cas d’une pellicule noir et blanc, les aberrations chromatiques d’un objectif peuvent entraîner une perte de netteté dans l’image.

Ainsi, avec l’apparition des pellicules panchromatiques et l’anticipation de l’arrivée des pellicules couleur, la correction de ces aberrations est devenue cruciale. Horace William Lee, concepteur d’objectifs chez Cooke, a fait en sorte que la première série d’objectifs Panchro soit mieux adaptée à une utilisation sur pellicule panchromatique. Il est probable que le nom de la série ait été choisi pour refléter la compatibilité avec ce type de pellicule.

Années 1930 – Panchro Cooke Speed sans traitement anti-reflets

En 1930, Lee a mis à jour sa formule pour les Opic et a lancé la gamme d’objectifs « Speed Panchro », conçus spécifiquement pour les applications cinématographiques (brevet américain 1955591A). Une publicité pour ces objectifs a été publiée dans l’édition de novembre 1930 de The International Photographer ainsi que dans l’édition de décembre 1930 de l’American Cinematographer. Ces objectifs reflétaient toutes les connaissances acquises par Lee lors de la fabrication des objectifs Opic et Ultra Speed.

Publicité Speed-Panchro dans « The International Photographer », novembre 1930

 

Cette série sans traitement anti-reflets était composée de 13 objectifs allant du 24 mm au 121 mm avec une ouverture de f/2.0 sur toute la série. Notons au passage qu’en l’absence de tout revêtement, le T-stop effectif n’aurait pas atteint un niveau proche de T2.

 Les Panchro Speed sans traitement anti-reflets ont notamment été utilisés sur les films «  Cavalcade » (1933, de Frank Lloyd, DOP. Ernest Palmer ASC), sacré par un Oscar du meilleur film, « Au Pays du rêve » (1933, de Raoul Walsh, DOP George J. Folsey, ASC) et « L’Île au trésor » (1934, de Victor Fleming, DOP. Clyde De Vienna, Ray June ASC et Harold Rosson ASC).

 En 1935, le directeur de la photographie résident de la Metro-Goldwyn-Mayer et trois fois président de l’American Society of Cinematographers, John Arnold ASC, a été cité dans une publicité avec ces propos  : « Toutes nos productions sont réalisées avec des objectifs Taylor-Hobson Cooke, et au moins 50 % d’entre elles ont été filmées avec des Speed Panchros. »

1947 – Cooke utilise les revêtements sur ses objectifs

À la fin des années 1930, les frères Taylor de Taylor, Taylor & Hobson étaient tous deux décédés et en 1945, la société, renommée Taylor-Hobson, est devenue une filiale de l’entreprise Rank. En 1947, Taylor-Hobson a commencé à intégrer des revêtements sur ses objectifs. La production de Speed Panchro s’est poursuivie pendant cette transition et les objectifs avec les revêtements anti-reflets et l‘affichage du diaphragme en transmission ont été reconnus sous l’appellation Coated Cooke Speed Panchro (Série I). Les propriétaires d’objectifs et les maisons de location avaient la possibilité de renvoyer leurs objectifs non traités à l’usine pour appliquer les traitements anti-reflets et effectuer le marquage du diaphragme en transmission (T-stop).

Du fait que la focale la plus courte des Speed Panchro sans revêtement ait été le 24 mm, Taylor-Hobson a commencé à utiliser divers éléments de terre rare dans la composition du verre afin d’obtenir des indices de réfraction plus élevés. Ses recherches ont abouti à la création d’un 18 mm Speed Panchro T2.0. La série de huit objectifs traités s’étendait ainsi du 18 mm au 100 mm, avec un diaphragme T2.3 pour la plupart des objectifs.

 

Cooke 18mm T2 Speed Panchro Series I (Coated)
18 mm T2 Speed Panchro Série I (avec traitement)
Cooke 100mm T2.8 Deep Field Panchro (Coated)
100 mm T2.8 Deep Field Panchro (avec traitement)

Parmi les films de fiction qui ont utilisé les objectifs avec revêtement de la série I figurent « Johnny Belinda » (1948, de Jean Negulesco, DOP : Ted McCord, ASC) et « Acte de violence » (1949, de Fred Zinnemann, DOP : Robert Surtees, ASC). Ces dernières années, des séquences de « Her » (2013, de Spike Jones, DOP : Hoyte Van Hoytema ASC, FSF, NSC) ont été filmées avec cette série historique d’objectifs.

1953 – La série II Speed Panchro (S2) au dioxyde de thorium

Le concepteur d’objectifs Gordon Cook a commencé à travailler chez Taylor-Hobson en 1948 et s’est lancé dans la refonte de la gamme Speed Panchro. En 1953, le 25 mm T2.2 est sorti et en 1958, une série complète de la Série II était disponible du 25 mm au 100 mm avec des diaphragmes de T2.2 à T2.8.

32 mm T2.3 Cooke Speed Panchro Série II

Les verres de la série II partageaient une grande partie de l’ADN de la lignée Panchro originale, mais ils incluaient davantage de lentilles avec de terres rares et de nouvelles techniques de revêtement pour minimiser les reflets et augmenter les performances de contraste et de transmission. Du dioxyde de thorium a été ajouté à un mélange de silice et a contribué à créer des lentilles avec des indices de réfraction plus élevés et à faible dispersion, des caractéristiques très utiles pour éliminer les aberrations chromatiques. Cependant, le dioxyde de thorium est malheureusement radioactif. Il est même utilisé dans les réacteurs nucléaires comme pastilles de combustible…

Ce rayonnement ionisant a créé des « centres de couleur » sur le verre, des zones qui absorbent certaines longueurs d’onde de la lumière au lieu de simplement les laisser passer, entraînant au fil du temps une dominante colorimétrique. La plupart du temps, ce phénomène se présente sous la forme d’une couleur jaune/brunâtre emblable à une tache de thé, généralement vers le centre de l’optique. Le 75 mm de la série SII était particulièrement sujet à ce phénomène.

Some Like It Hot (1959, d. Billy Wilder, cine. Charles B Lang Jr ASC)
Certains l'aiment chaud (1959, de Billy Wilder, DOP : Charles B Lang Jr, ASC)
Goldfinder (1964, d. Guy Hamillton, cine. Ted Moore BSC)
Marnie (1964, d. Alfred Hitchcock, cine. Robert Burks ASC)
Goldfinger (1964, de Guy Hamillton, DOP : Ted Moore, BSC) Marnie (1964, d’Alfred Hitchcock, DOP : Robert Burks, ASC)

The S2s also marked a transition point from hand-calculations for the optical design of each lens, which could take as long as a year to perfect, to computer aided calculations – albeit on massive computers – which only took days to complete. These lenses also covered the full negative area of 18.63mm x 24.89mm, which was very close to what would become known as Super35.

In 1959, as a compliment to this lens set, the Cooke Telepanchros were released – a 5 way lens set covering from 152mm all the way up to 558mm with T-stops from T2.3 to T6.2

1959 – Série III Speed Panchro (S3)

Peter A. Merigold a conçu les objectifs de la série III. Cette mise à jour ne concernait que deux distances focales : le 18 mm de la série I qui a été mis à jour avec un nouveau design et le 25 mm qui a été, quant à lui, mis à niveau. Les deux objectifs offraient des ouvertures de T2.2 et ont été parmi les premiers objectifs cinématographiques à utiliser des lentilles asphériques. L’utilisation d’une surface asphérique a considérablement augmenté la correction des aberrations, au même temps qu’elle permettait de réduire la complexité de l’optique, qui se traduisait par une diminution de la taille physique des objectifs.

Les séries SII et SIII se sont rapidement mélangées, cette dernière couvrant une plage de focales plus étendue. Au cours des décennies qui ont suivi, des centaines de longs métrages ont été filmés avec cette combinaison et ont très souvent servi pour le recarrossage d’objectifs.

The Killing Fields (1984, d. Roland Joffé, cine. Chris Menges ASC BSC)
La Déchirure (1984, de Roland Joffé, DOP : Chris Menges, ASC, BSC)
Reds (1998, d. Warren Beatty, cine. Vittorio Storaro ASC AIC)
Reds (1998, de Warren Beatty, DOP : Vittorio Storaro, ASC, AIC)
Far From Heaven (2002, d. Todd Haynes, cine. Edward Lachman ASC)
Loin du paradis (2002, de Todd Haynes, DOP : Edward Lachman, ASC)
Mr Turner (2014, d. Mike Leigh, cine. Dick Pope BSC)
Loin du paradis (2002, de Todd Haynes, DOP : Edward Lachman, ASC)

Années 2010 et suivantes : l’essor du cinéma numérique et le retour des Speed Panchro

À partir de la fin des années 2010, l’essor des tournages en numérique a entraîné une demande d’objectifs de cinéma vintage. Bien que les séries Speed Panchro II et III ont été reconditionnées au fil du temps, les résultats étaient mitigés et les problèmes de dominante de couleur à cause des revêtements au dioxyde de thorium ont déçu de nombreux directeurs de la photographie. En 2016, Cooke Optics a annoncé son intention de ressusciter la célèbre série d’objectifs Speed Panchro, mais recréée avec de nouvelles lentilles et de nouvelles conceptions optomécaniques.

Ces versions récentes reposent sur les conceptions optiques d’origine et comprennent 12 objectifs assortis avec une ouverture maximale de T2.2 et un objectif macro de 65 mm. Ils disposent également de la technologie /i de Cooke et peuvent couvrir soit le Super35, soit le plein format. Dans un prochain article, nous développerons la recréation de ce look emblématique à l’époque moderne, accompagné d’une interview de Graham Cassely, le concepteur optique actuel de Cooke Optics.

Motherless Brooklyn (2019, d. Edward Norton, cine. Dick Pope BSC)
Brooklyn sans mère (2019, de Edward Norton, DOP Dick Pope, BSC)
Motherless Brooklyn (2019, d. Edward Norton, cine. Dick Pope BSC)
Brooklyn sans mère (2019, de Edward Norton, DOP Dick Pope, BSC)

Outre les archives Cooke, une grande partie de l’histoire des objectifs présentée dans cet article a été complétée grâce au livre « Cine Lens Manual » rédigé par Jay Holben et Christopher Probst ASC. Ce livre comporte de nombreuses informations sur l’histoire de la création des objectifs Cooke et nous nous sommes entretenus avec les auteurs à propos de cet incroyable volume. https://cookeoptics.com/news-and-events/behind-the-cine-lens-manual/